ARCHIVÉE Une norme canadienne bilingue : Terminologie de la technologie de l’information

 

Contenu archivé

L’information dite archivée est fournie à des fins de référence, de recherche ou de tenue de documents. Elle n’est pas assujettie aux normes Web du gouvernement du Canada et n’a pas été modifiée ni mise à jour depuis son archivage. Pour obtenir cette information dans un autre format, Contactez-nous.

Consulter le Pavel en ...

par Silvia Pavel1

La technologie de l’information (TI) a acquis ces dernières années le droit de cité parmi les domaines de pointe du savoir et de la pratique. Issue de l’informatique classique, cette technologie se renouvelle rapidement grâce aux progrès des télécommunications, de la vidéo et de la micro-électronique, aux percées de l’intelligence artificielle dans l’industrie de la langue et à la banalisation des outils informatisés.

Ce renouvellement crée, à l’échelle planétaire, un besoin grandissant de normes techniques spécifiant les caractéristiques d’une multitude de produits nouveaux. Sur le plan de la communication, cela se traduit par la recherche de normes terminologiques nationales et internationales, et par un surcroît d’intérêt pour les néologismes de la télématique et de la sécurité informatique, de la bureautique et de l’éditique, de l’infographie et de la productique. À preuve, la parution de plusieurs dictionnaires consacrés aux diverses technologies de l’information et l’essor des activités de normalisation terminologique dans ces domaines.

La normalisation terminologique – une activité transnationale

"Technical terms must have the same meaning for everyone who uses them. This goal can only be achieved if there is general agreement on the meaning of these terms. Hence, the importance of technical vocabularies in which concepts and terms as well as their definitions are standardized" (Recommandation ISO-1087, 1969).

La normalisation terminologique joue un rôle de premier plan dans l’acquisition, la systématisation et le transfert des connaissances spécialisées. L’adoption et la dissémination des normes terminologiques peuvent contribuer très efficacement à l’harmonisation de l’usage linguistique.

Cette activité a des visées communicationnelles autant que pédagogiques. Effectuée par des praticiens et des scientifiques en collaboration avec des terminologues et des documentalistes, elle facilite l’échange d’informations à l’intérieur d’une communauté professionnelle donnée et entre les spécialistes de domaines pluridisciplinaires. Mise à profit par les médiatiseurs langagiers, elle aide à la diffusion du savoir chez les non-spécialistes.

La terminologie relative à la TI est normalisée par des organismes internationaux comme l’Organisation internationale de normalisation (ISO), la Commission Électrotechnique Internationale (CEI) et divers organismes nationaux tels l’American National Standardization Institute (ANSI) aux États-Unis et l’Association française de normalisation (AFNOR) en France.

Pour sa part, le Conseil canadien des normes (CCN) participe activement à la normalisation technique et terminologique de l’ISO dans ce domaine. Depuis 1976, son comité de terminologie TI a contribué à la création et à la mise à jour d’une trentaine de normes émises par le sous-comité 1 (SC 1) du Comité Technique Conjoint ISO/CEI.

Structure et activités du Comité consultatif canadien

Le Comité consultatif canadien (CCC) réunit des spécialistes du secteur privé, des universitaires et des terminologues du gouvernement fédéral (banque TERMIUM), de l’Office de la langue française du Québec (banque BTQ) et de l’Association canadienne de normalisation (CSA). Son mandat est celui de tous les comités nationaux membres du SC 1, c’est-à-dire l’étude des normes terminologiques de l’ISO aux quatre étapes de leur préparation : document de travail, projet de comité, projet de norme internationale, norme internationale. Les comités nationaux peuvent aussi proposer de nouveaux projets de norme en fonction des développements technologiques. Tous les documents du SC 1 sont rédigés en anglais et en français.

Les membres du CCC analysent le système notionnel, les termes retenus et les définitions proposées pour chaque sous-domaine à l’étude et présentent leur position lors des réunions mensuelles. Leur analyse est basée tant sur l’expertise de chacun que sur la consultation de bases de données. d’autres experts et d’ouvrages spécialisés. Les discussions en comité visent l’adoption d’une position nationale à communiquer par écrit au Secrétariat international du SC 1. Les commentaires y sont remis accompagnés d’un bulletin de vote : le document ISO est approuvé tel quel, avec modification, ou rejeté. L’abstention se justifie lorsque le projet en question n’a pas été discuté en comité.

Lors des réunions plénières et semi-annuelles du SC 1, tous les commentaires relatifs à un sous-domaine sont confiés au groupe de travail responsable, pour qu’ils soient intégrés dans un document de synthèse dont on recommande soit le maintien au même niveau dans la prochaine série d’analyses (premier, deuxième ou troisième document de travail, par exemple), soit le passage au niveau immédiatement supérieur. L’examen par les comités nationaux est repris jusqu’à ce qu’une norme internationale soit votée conformément aux procédures ISO. Cette façon de faire permet l’étude d’environ vingt documents ISO par an. En règle générale, les normes sont revues et mises à jour tous les cinq ans.

Le projet de norme canadienne2

Une conséquence immédiate de cette participation aux activités ISO est la reprise des normes terminologiques internationales par les pays membres. Traduites, actualisées, adaptées aux besoins linguistiques et socio-économiques particuliers à chaque pays, elles sont souvent à l’origine des normes nationales. On peut constater parfois le mouvement en sens inverse : certaines normes nationales servent à la mise à jour des normes internationales.

Ainsi, le premier vocabulaire de l’informatique contenant la terminologie officiellement adoptée par le gouvernement fédéral fut publié au Canada à la fin des années soixante-dix à partir des normes ISO, de la terminologie bilingue définie dans la banque TERMIUM du Secrétariat d’État et de plusieurs normes issues de divers comités techniques canadiens.

Par contre, le projet de norme canadienne de la terminologie TI, lancé en 1989 par le CCN et le Secrétariat d’État, reprend la plupart des normes ISO dans ce domaine, tout en y intégrant des termes et des définitions qui seront ajoutés aux nouvelles éditions des normes ISO par les soins du CCC chargé de sa réalisation.

Ce projet vise à combler des besoins langagiers variés. Non des moindres sont ceux dus à l’absence de dictionnaires canadiens unilingues et d’une norme nationale qui consacre l’usage dans les deux langues officielles. D’autres besoins sont créés par l’évolution rapide des TI, qui entraîne de nombreux changements conceptuels, et par l’apparition de notions et de désignations peu connues, susceptibles d’applications erronées et d’interprétations équivoques. À cela s’ajoute la nécessité de résoudre les contradictions relevées entre les définitions véhiculées pour une seule notion.

Repères méthodologiques des travaux de normalisation

Le corpus. Les travaux, étalés sur deux ans, ont débuté par la constitution d’un fonds terminologique d’environ deux mille notions pour vingt-huit sous-domaines TI identifiés par l’ISO, et par la création d’un réseau de consultants indépendants du comité qui devaient examiner les termes et les définitions, proposer des ajouts et apporter des modifications à la systématisation notionnelle de chaque sous-domaine.

Le fonds terminologique provenait en grande partie des normes ISO révisées récemment et des contributions canadiennes aux travaux courants du SC 1. mais contenait aussi un nombre important d’entrées extraites de la banque TERMIUM, du Vocabulaire bilingue officiel ou des recherches individuelles des membres du comité.

La nomenclature du domaine. Les critères de sélection des entrées ont été la pertinence par rapport à l’actualité technologique et la fréquence d’emploi. La plupart des ajouts concernent l’infographie (nouvelles techniques de modélisation), la bureautique (nouvelles fonctions d’affichage, éditeurs de texte). la sécurité informatique, l’intelligence artificielle et la productique.

Le but de l’exercice n’étant toutefois pas de produire un dictionnaire de néologismes mais bien de normaliser une terminologie courante, le comité a décidé de ne pas retenir des concepts émergents, propres aux technologies très avancées d’application restreinte et qui n’ont pas encore d’emprise sur les langues de travail. Tel fut, entre autres, le cas des applications des systèmes experts aux didacticiels intelligents, à la reconnaissance/synthèse de la parole et à la compréhension automatique d’images. Plutôt, l’information relative à ces innovations technologiques a été enregistrée sur support électronique et est systématiquement mise à jour. Elle servira certainement lors de la révision de la norme.

Le but de l’exercice n’étant pas non plus d’inventorier toute la terminologie de l’informatique classique qui se compte en dizaines de milliers de termes, le comité a décidé d’élaguer les arbres notionnels en éliminant les noeuds et les branches sans intérêt immédiat pour les TI. Ce fut, par exemple, le cas du calcul analogique et du traitement informatique des données, domaines dont la terminologie avait été normalisée dans les années soixante et n’avait pas beaucoup changé depuis.

Types d’intervention normalisatrice

La reformulation. Après avoir déterminé le profil notionnel de chaque sous-domaine et adopté la procédure de normalisation à suivre, le comité s’est divisé en quatre groupes responsables de l’intégration des commentaires des consultants et de la rédaction des normes dans les sous-domaines de leur ressort.

Se guidant sur les recommandations ISO relatives à l’harmonisation internationale des notions et des termes, le comité a opté pour la définition en une phrase, à l’aide d’un vocabulaire général limité et de termes normalisés. Le but visé était la précision et la simplicité. Pour y arriver, le comité a décidé d’identifier une notion par ses propriétés distinctives et par ses relations avec les autres notions définies (inclusion, contiguïté, possession, attribution, fonction, causalité, etc.).

L’intervention visait à éliminer la circularité et les tautologies. Par exemple, la définition ISO de irrational number (a real number that is not a rational number) a été reformulée ainsi : a real number that is not the quotient of an integer divided by an integer other than zero. Les définitions de processus (conception, fabrication, etc.) assistés par ordinateur qui commençaient par la tournure Use of computers in... ont été changées pour marquer les propriétés héritées du processus générique et leur différence spécifique.

Une fois définie dans une langue, la notion était rendue dans l’autre en accentuant les compatibilités translinguistiques - les différences du découpage notionnel étant traitées dans des notes avec d’autres précisions d’ordre sémantique. En sécurité informatique, par exemple, la définition du ver est suivie, dans les deux langues, de notes énumérant les effets néfastes de cette routine destructrice de programmes. En anglais seulement, une deuxième note prévient contre la confusion du terme worm avec l’acronyme WORM (write-once-readmany-times). Les notes ajoutées en anglais et en français aux définitions de virus (virus), bombe logique (logic bomb) et cheval de Troie (Trojan horse) comparent les propriétés distinctives de ces notions.

D’autres notes précisent les emplois synonymiques. En français, le terme plage d’erreur (error range), synonyme de gamme d’erreur, est repris dans une note précisant qu’il est employé dans le cas particulier du mesurage et plus spécialement pour désigner une qualité d’une méthode ou d’un instrument de mesure. En anglais. le terme processing unit, synonyme de central processing unit est suivi de la note The term “processor" is often used synonymously” with “processing unit".

Les exemples figurant après les notes illustrent les instances particulières de certaines notions abstraites ou complexes, telle droit d’accès (access right) : le droit de lire un fichier, le droit d’en écrire, le droit de l’effacer.

La sélection des unités terminologiques. Il s’agissait d’identifier d’abord l’usage canadien lorsqu’il se distinguait de l’usage consigné dans les normes ISO et de séparer ensuite les termes correctement employés des termes à éviter. Les membres du comité avaient déjà effectué cette opération lors de la constitution du fonds terminologique en se basant sur leurs propres connaissances, sur les usages consignés dans les banques TERMIUM et BTQ et sur des attestations fournies par des ouvrages spécialisés récents.

Les choix effectués en comité ont été confirmés par les consultants externes avant d’être retenus dans la norme. Ainsi, l’ISO privilégie mode dialogué (conversational mode) par rapport à mode interactif (interactive mode), et recommande sexadécimal (sexadecimal) avant hexadécimal (hexadécimal). Le terme traitement non prioritaire (background processsing) est normalisé par l’ISO avec, en entrée secondaire, traitement d’arrière-plan. Dans tous ces cas, et dans bien d’autres, la norme canadienne inverse l’ordre ISO pour refléter l’emploi privilégié au Canada.

Dans d’autres cas, l’intervention normalisatrice a consisté à ajouter en vedette des expressions canadiennes absentes des normes ISO : dans le français du Canada, le terme ordinateur malette (laptop computer) est tout aussi répandu que ordinateur portatif, et étiquette interne (internai label) est nettement préféré au terme international label interne; en français et en anglais, les expressions métaphoriques étreinte fatale (deadly embrace) sont aussi fréquentes au Canada que deadlock retenu par l’ISO.

Lorsqu’une expression erronée avait été normalisée ailleurs, la norme canadienne la remplace par l’expression correcte, tout en indiquant les termes à éviter. La paire erreur non redressable (unrecoverable error) y est ainsi remplacée par l’expression correcte erreur irrémédiable (irrecoverable error). Une note explique l’incorrection linguistique des termes supprimés.

En français surtout, les termes désuets. les synonymes d’usage r estreint et plusieurs acronymes non attestés ont été éliminés de la norme canadienne au profit de créations récentes. La notion accès frauduleux aux fichiers de données (piggy backing) n’avait pas d’équivalent français stable au début des années quatre-vingts à part l’emprunt du terme anglais, et n’avait pas non plus été normalisé par l’ISO. Pour combler cette lacune, le Comité des normes gouvernementales en informatique (CNGI) avait proposé accès en resquille. Or, dix ans plus tard, d’autres termes français (accès superposé, accès à califourchon) avaient été spontanément créés et adoptés dans l’usage courant. La norme canadienne reflète cette évolution.

Un regard vers l’avenir

Comme tout travail ancré dans la réalité quotidienne, la première norme canadienne de la terminologie TI bénéficiera considérablement de la rétroaction de ses utilisateurs. Ce document, actuellement revu par la CSA, sera entériné par le CCN et paraîtra à l’automne 1991. Ses lecteurs seront alors invités à transmettre leurs commentaires au secrétariat du CCC, pour examen lors de la préparation de la prochaine édition.

Entre temps, le comité étudie les nouveaux développements en intelligence artificielle qui vont transformer radicalement les technologies de l’information. Ses membres recueillent les termes relevant du traitement intelligent du langage naturel, de la traduction automatique et de la visionique afin de les inclure et de les définir non seulement dans la prochaine norme canadienne, mais aussi dans les éditions révisées des normes ISO touchant ce domaine.

La norme canadienne permettra ainsi de disséminer, autant sur support papier qu’électronique. une terminologie de grande actualité, basée sur des normes internationales mais reflétant des spécificités nationales, une terminologie validée par les experts mais définie dans un langage intelligible à la fois au professionnel, au novice aspirant à la maîtrise du domaine et au simple utilisateur de produits TI.

Notes

  1. L’auteur tient à remercier les membres du Comité de normalisation qui ont bien voulu lire cet article et y apporter des améliorations : Hélène Cormier, présidente du comité. Jean Baudot, professeur à l’Université de Montréal, et François Mouzard, secrétaire national.
  2. Toute personne désirant se procurer cette norme pourra s’adresser aux Services de publication de l’Association canadienne de normalisation (CSA), 178 boulevard Rexdale, Rexdale (Ontario), M9W 1R3.