ARCHIVED Terminologie et technosciences
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L’essor des sciences et des techniques a eu, durant les trente dernières années, des conséquences socio-économiques et culturelles qui reviennent comme des leitmotive dans l’actualité du discours théorique en sociologie et en philosophie de la science.
Sur le plan du langage, une nouvelle discipline – la technolinguistique – s’est consacrée à l’étude de phénomènes tels que la formation, l’aménagement et la maîtrise de la langue technoscientifique –entité distincte de la langue courante. De cette réflexion est issu, entre autres, le concept "langue de spécialité" : système linguistique circonscrit par un domaine spécifique du savoir, partageant la morphosyntaxe de la langue courante mais se prêtant à une étude relativement autonome du sens et de la matière lexicale.
La technolinguistique considère en priorité la fonction cognitive du langage (systématisation et transmission du savoir). Elle s’est dotée de principes généraux régissant l’analyse des structures et des relations conceptuelles, la classification et la définition des notions propres à une spécialité. En s’inspirant de la lexicographie, la technolinguistique analyse les particularités lexicales des langues de spécialité et, tout en dégageant les règles et les unités participant à la formation des mots technoscientifiques, elle tente de "raisonner" la création de termes nouveaux (néonymes) et de l’orienter vers l’harmonisation de l’usage qu’en font producteurs et consommateurs de technologies. On lui reconnaît, par ailleurs, un rôle croissant dans le développement des technolectes autochtones des pays en voie de technologisation.
Les principales applications technolinguistiques concernent la terminologie, la didactique des langues et la traduction –disciplines scientifiques ayant acquis de nos jours une base théorique qui leur manquait au temps des premières nomenclatures, grammaires et messages traduits.
Envisagée sous l’angle de la pratique quotidienne, la terminologie étudie et définit les notions et les classes d’objets propres à une spécialité en relation avec les termes et les syntagmes servant à les dénommer, afin d’en constituer des vocabulaires descriptifs ou prescriptifs (normes terminologiques).
La didactique des langues de spécialité sélectionne parmi les diverses méthodes d’enseignement celles qui conviennent le mieux à l’acquisition d’une compétence linguistique permettant l’acquisition et la manipulation des connaissances spécialisées en langue seconde. L’enseignement des terminologies en fait partie intégrante.
Quant à la traduction spécialisée, elle utilise les acquis terminologiques autant que les connaissances en langue seconde pour opérer le transfert interlangues de l’information technoscientifique, juridique, administrative, etc. En revanche, c’est précisément la traduisibilité du langage qui rend opératoires les concepts "didactique des langues" et "terminologie comparée". La contribution créatrice des traducteurs à l’enrichissement des langues cibles n’est d’ailleurs plus à démontrer, tout comme le rôle particulièrement actif des traducteurs technoscientifiques dans la diffusion de terminologies fiables.
Cette triple interdépendance jette une lumière nouvelle sur les distinctions d’ordre méthodologique et "productique" entre ces disciplines. Paradoxalement, ces distinctions se sont accentuées surtout depuis que l’informatique a enrichi la réflexion technolinguistique d’un deuxième concept, désigné par l’expression "industries de la langue", qui les englobe en tant qu’outils et produits informatisés : banques terminologiques et documentaires, dictionnaires sur disque, didacticiels pour langues de spécialité et systèmes de traduction technoscientifique automatisée.
De ce mariage avec l’informatique sont nées la terminotique et la traductique –la didactique des langues présentant déjà, par un heureux hasard homonymique, le suffixe de rigueur.
Or, à peine créées, ces industries de la langue subissent les effets de la deuxième révolution informatique, celle de l’intelligence artificielle, dont les innovations "cognitives" les transformeront fort probablement assez au cours des quinze prochaines années pour rendre transitoires les tentatives d’en hiérarchiser rigoureusement les composantes terminotique, traductique et didactique, telles qu’elles se présentent aujourd’hui.
Méthodes, outils et produits terminologiques
Les fondements théoriques de la terminologie moderne varient selon les grands courants de pensée qui se sont développés dans de contextes socio-linguistiques différents. Certains théoriciens et praticiens de la terminologie se réclament des écoles de Vienne ou de Moscou qui préconisent une approche pluridisciplinaire hautement formalisée et a priori normative de l’étude des notions et des termes. D’autres se trouvent plus d’affinités avec l’approche pragmatico-descriptive des écoles française et canadienne qui considèrent en priorité les ressources linguistiques à exploiter lors de la dénomination des notions technoscientifique. Dans cette optique, le processus de normalisation terminologique n’aboutit au "falloir dire" qu’après avoir exploré les possibilités du "mieux dire" et les préférences langagières des locuteurs visés.
D’autres différences en théorie et pratique terminologiques concernent le rôle du linguiste et du terminologue, du documentaliste et du spécialiste de domaine dans le processus de systématisation notionnelle. Ces différences concernent aussi la portée et le moment précis de leur intervention dans la réglementation terminologique ainsi que la nature de leur participation au développement des technolectes dans les langues du tiers monde ou dans la création de terminologies internationales par famille de langues.
L’on ne peut toutefois pas s’empêcher de remarquer qu’au delà de ces différences de principe, aussi importantes soient-elles, le travail terminologique présente des similarités méthodologiques non négligeables : démarche essentiellement onomasiologique (partant de la notion pour en étudier la désignation), toute recherche terminologique implique la participation conjointe ou alternative du terminologue et du spécialiste de domaine aux décisions relatives à l’établissement de la documentation écrite ou orale à dépouiller, du réseau notionnel à étiqueter, du type de traitement des données (termes, définitions, contextes, sources), du support terminologique à utiliser (fiches, dossiers, bandes, disques), et des produits envisagés (vocabulaires unilingues systématiques, traductionnels ou contextuels –lexiques, glossaires, fichiers informatisés accessibles en direct ou en différé, etc.). Bien entendu, le choix des produits terminologiques sera conforme aux besoins informationnels des différentes catégories d’utilisateurs appelés à manipuler des connaissances spécialisées : scientifiques ou techniciens, universitaires, enseignants et agents de formation professionnelle, étudiants, rédacteurs et traducteurs technoscientifique, etc.
Au fil des années, les besoins de terminologies technoscientifique se sont accrus et diversifiés à un point tel que pour les satisfaire il a fallu remplacer les outils de recherche traditionnels par des moyens informatisés : machines de traitement de texte, banques de données documentaires et banques de termes. Vers la fin des années 1970, l’informatisation assurait une croissance exponentielle des performances en matière de collecte et de diffusion de l’information terminologique, tout en rendant possible une rapidité des mises à jour plus proche du rythme d’apparition des terminologies nouvelles dans les technosciences de pointe.
Les grandes banques d’aujourd’hui, dont certaines sont arrivées à leur troisième génération d’ordinateurs, contiennent des centaines de milliers de fiches renseignant sur des millions de termes en langues de spécialités diverses, accessibles en direct et en différé à partir de centaines de terminaux. Ces banques disposent de services de recherche terminologique, de saisie de données, de publication automatisée et de renseignements téléphoniques fonctionnant au maximum. Et pourtant, depuis quelques années, l’informatique classique ne semble plus suffire : systèmes d’entretien coûteux, logiciels devenus encombrants, goulots d’étranglement à la saisie, temps de réponse trop longs créés par la surcharge des lignes de télécommunication sont autant de facteurs qui ralentissent le processus de collecte, de traitement et de diffusion de l’information terminologique. Avec ingéniosité et patience, on contourne ces difficultés techniques en restructurant les services, en multipliant les publications ou en perfectionnant les logiciels autant que leur exploitation. Ailleurs, on s’oriente vers des minibanques rassemblant la terminologie d’une seule spécialité, on explore les possibilités du disque optique, les avantages des stations bureautiques et des "disquettotèques" pour traducteurs. Ces bibliothèques sur disquette contiendront non seulement des dictionnaires spécialisés mais aussi les éditions périodiquement mises à jour de monuments lexicographiques tels que le Robert, l’Oxford English Dictionary (OED) ou Al-Mu’jam Al-Arabiy, dont l’intérêt dépasse largement les applications technoscentifiques.
Considérons, à titre d’exemple, le dictionnaire Oxford en douze volumes et son Supplément en quatre volumes dont la préparation a pris cinquante et trente ans respectivement. Ils contiennent près de 500,000 mots définis et 2 millions de citations. Les entrées y sont structurées de manière à renseigner sur l’apparition et l’évolution sémantique de chaque mot, sa prononciation, ses variantes orthographiques, ses composés et ses dérivés. L’on peut concevoir le degré de complexité qu’implique une mise à jour avec les moyens d’impression classiques, autant que la difficulté, pour le linguiste, d’y repérer manuellement les données concernant les emprunts d’une époque, le comportement synchronique ou diachronique de certains dérivés ou la productivité de certains procédés de composition. D’autres obstacles limitant l’accès à cette richesse d’informations sont tout aussi évidents : cherté des volumes, encombrement de l’espace de travail, consultation incommode, etc. Si les avantages de l’accès informatisé semblent sauter aux yeux, l’on en méconnaît souvent le coût en termes de temps, de savoir-faire et d’argent.
Ainsi, le projet d’informatisation du nouvel OED, lancé à l’Université de Waterloo-Ontario, coûtera plus de 1 300 000 livres sterling au cours des quatre premières années. Cette première phase comprend la saisie des 16 volumes sur support électronique, le codage logiciel et la révision du texte intégral avant la publication d’une version sur support papier. La deuxième phase concernera la préparation d’une version électronique (bande magnétique, vidéodisque ou accès en ligne), l’ajout de milliers de néologismes anglais créés tous les ans suite aux progrès technoscientifique et socio-politique, la préparation de dictionnaires unilingues reflétant l’usage australien, canadien et sud-africain en plus des usages britanique et américain, et de dictionnaires bilingues ou multilingues. Ultérieurement, l’ajout de systèmes experts diversifiera davantage les possibilités d’exploitation de ce dictionnaire électronique.
Sans doute, l’apparition des ordinateurs cognitifs, des logiciels autodidactes et des traducteurs électroniques universels permettra-t-elle de mieux satisfaire aux nouveaux besoins de communication technoscientifique créés par le développement accéléré des sciences et des techniques.
Entre-temps, loin de tout miser sur la performance des machines, les organismes à vocation terminologique favorisent le développement des ressources humaines et matérielles afin de mieux coordonner leurs activités de recherche, de création et de diffusion. Ils intensifient les échanges professionnels de nature à favoriser l’harmonisation des méthodes de travail et, soutenus par de grands forums politiques tels que le récent Sommet francophone, ils créent les conditions propices à la réalisation d’un consensus plus général en matière d’usage terminologique.
Bibliographie
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