ARCHIVED Écrire dans un monde de plus en plus spécialisé
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Les langues de spécialité constituent un moyen de communication privilégié dans la société du savoir.
LES LANGUES de spécialité (LS) sont des sous-ensembles des langues naturelles constitués par ce que les membres des communautés professionnelles disent et écrivent, entendent et lisent pour échanger des informations relevant de leur champ d’expérience.
Alternativement appelées langages spécialisés, langues techniques ou technolectes, langues scientifiques ou spéciales, sous-langues, langues de groupes particuliers, langues professionnelles, fonctionnelles ou sectorielles (administration, économie; finances, droit, environnement, commerce, industrie, éducation, santé, etc.), les LS font depuis de longues années l’objet de recherches qui en dégagent les particularités sémantiques, lexicales et syntaxiques, les variations historiques et géographiques, stylistiques ou de registre.
Chaque LS exprime une pensée thématique façonnée par l’expérience accumulée dans un domaine. Sa spécificité conceptuelle est reliée étroitement au renouveau du savoir spécialisé (découvertes, changement de paradigmes scientifiques, technologies nouvelles). Par conséquent, son vocabulaire peut évoluer très rapidement, mais il est constamment normalisé par les instances responsables de son aménagement. Pour employer efficacement une LS, il faut adopter les modes de raisonnement, les stratégies du discours, les conventions rhétoriques et les préférences langagières propres aux locuteurs et aux situations de communication typiques des milieux concernés.
Des professionnels du langage
Les trois branches de la linguistique appliquée, à savoir la terminologie, la didactique des langues et la traductologie, ont chacune leurs théoriciens et leurs praticiens LS.
Les terminologues analysent les textes spécialisés à la recherche d’informations définitoires sur les concepts à l’étude, de termes qui désignent ces concepts et de combinaisons phraséologiques qui reflètent les prédilections de l’usage LS. Ces renseignements sont structurés dans des dictionnaires LS, des normes terminologiques ou des banques de données. Pour leur part, les pédagogues intéressés par la didactique des sciences et des technologies en exploitent les modèles de référence nécessaires à l’organisation et à l’acquisition des connaissances.
Les enseignants de langues et les agents de formation professionnelle s’inspirent des recherches LS lors de la conception des cours pour actualiser le contenu de l’enseignement.
Les rédacteurs techniques (chercheurs, auteurs, journalistes et autres médiatiseurs) acquièrent une LS pour créer et diffuser l’information spécialisée dans une langue naturelle, à la fois source et cible. Pour leur part, les traducteurs maîtrisent des LS en plusieurs langues naturelles en vue de transférer sans distorsion le contenu des textes rédigés en langue source dans les structures équivalentes d’une langue cible.
Des apports interdisciplinaires
L’interdépendance des recherches LS terminologiques, didactiques et traductionnelles ressort immanquablement lors de rencontres professionnelles tels le colloque Phraséologie et terminologie en traduction et en interprétation (Genève, 1991), le 9e symposium européen Languages for Special Purposes (Bergen, 1993), le Séminaire Rint sur la phraséologie (Hull, 1993) et le 3e congrès international Terminology and Knowledge Engineering (Cologne, 1993). Ainsi, l’analyse syntaxique et lexicale des LS est indispensable à leur apprentissage; l’analyse des systèmes conceptuels d’une LS permet d’en établir les terminologies utiles tant à l’enseignement LS qu’à la traduction spécialisée et à la rédaction technique.
Une conjoncture favorable
L’apparition d’une « société du savoir » dans les pays industrialisés et la création du créneau « industries de la langue » dans les technologies de l’information ont déclenché une véritable explosion des recherches et des applications LS.
Les activités relatives au repérage, à l’acquisition, au traitement et à la transmission électronique de l’information emploient plus de la moitié de la main-d’oeuvre qualifiée tandis que le microordinateur connecté au téléphone et au récepteur de télévision devient le principal outil de production. Ces activités génèrent de nouveaux métiers (mécatronicien, optronicien, cogniticien, roboticien, domoticien, connecticien, didacticien, etc.), et transforment le profil des métiers existants. Elles exigent des connaissances spécialisées, des suivis et des recyclages périodiques, une formation continue, et elles sollicitent la créativité de chacun.
En tant que principal moyen de communication dans toutes ces activités, les LS évoluent, fusionnent et se multiplient au rythme des spécialités émergentes. Leurs vocabulaires s’enrichissent de terminologies nouvelles que le langage commun s’approprie graduellement. Les milieux professionnels s’ouvrent les uns aux autres en impliquant un nombre croissant d’interlocuteurs et d’échanges inter-LS. Les besoins de communication augmentent proportionnellement.
Linguistes, terminologues, enseignants, traducteurs et rédacteurs ont fort à faire pour décrire, systématiser, aménager, normaliser, enseigner, traduire, reformuler et produire des discours LS. En fait, on ne parvient à tenir le pas qu’en se dotant d’outils de recherche linguistique informatisés qui permettent de fabriquer des produits langagiers capables de satisfaire ces besoins d’information et de communication LS.
Les outils et produits LS
Les nouveaux outils sont des systèmes de traitement du langage naturel, des postes de travail multifonctionnels interconnectables sur réseaux quasi universels de type Internet, des logiciels pour le dépouillement automatique et l’édition électronique, des concordanciers, des lecteurs optiques et des analyseurs de textes spécialisés, des banques de données textuelles, terminologiques, linguistiques, etc. Déjà disponibles, ils seront de plus en plus performants.
Quant aux produits LS, ils sont désormais conçus par « l’ingénierie linguistique » qui regroupe des « travailleurs du langage », linguistes-informaticiens, cogniticiens concepteurs de bases de connaissances pour systèmes experts, terminoticiens élaborant des dictionnaires LS sur disquettes et disques optiques, créateurs de logiciels de traduction spécialisée, concepteurs de correcteurs orthographiques, grammaticaux et stylistiques, auteurs de didacticiels multimédias pour l’apprentissage LS, de vidéodisques et de ludiciels éducatifs.
Pour ce qui est du français, la diversité des recherches et des produits langagiers est telle que le Réseau international des observatoires francophones des industries de la langue (Riofil) a lancé un projet de Répertoire francophone de la technologie linguistique qui sera publié périodiquement à partir de l’automne 1995.
En perspective
Au début des années 1990, on pouvait lire des prévisions socioéconomiques annonçant que la plupart des produits qui seront courants en l’an 2000 n’avaient pas encore été inventés. Même si la proportion des produits langagiers parmi ces inventions restait la même qu’aujourd’hui, les perspectives d’emploi des professionnels LS à l’aube du XXIe siècle seraient des plus prometteuses.
* Terminologue au Secrétariat d’État du Canada depuis 1976, Silvia Pavel dirige la Division Montréal-Québec de la Direction de la terminologie et des services linguistiques au Bureau de la traduction. Elle est aussi présidente du Comité consultatif canadien pour les normes de terminologie ISO/CEI en technologies de l’information, et animatrice du Groupe de travail . Matériel et logiciel, du même organisme. Ses publications récentes concernent la phraséologie LS.
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